-Lucrèce ! Tiens-toi tranquille, saleté ! J'vais te stupéfixer, ça va pas faire un pli !
Le chinchilla continua sa sarabande sous le T-shirt de Samuel, comme pour indiquer qu'il avait bien compris que c'était une menace en l'air. Jamais encore le cadet Pinsker n'avait stupéfixé quoi que ce soit, et, vu son niveau en magie, il n'était pas près de commencer.
Par chance, Lenny ne se trouvait pas dans la salle commune, et le voleur de chinchilla put quitter le dortoir de Serpentard sans avoir rencontré d'embûche majeure. Lucrèce le griffait furieusement, offensé de se retrouver caché sous un T-shirt ; de guerre lasse, le gamin le fit passer dans la poche koala de son sweat-shirt, en lui glissant au passage, en désespoir de cause, une pincée de friandises spécial chinchilla. La bestiole se mit docilement à grignoter, et cessa de se débattre.
-C'est ça, prends des forces, Lulu, tu vas en avoir besoin...
Car le sale gosse avait des projets bien précis pour le chinchilla de son cher frère – des projets que ledit cher frère risquait fort de réprouver hautement, s'il venait à en avoir connaissance – car Lenny, grâce aux bons offices de son cadet, allait devenir grand-père. Samuel avait en effet estimé qu'il était temps pour Lucrèce de faire la connaissance du sexe opposé, en la personne d'un charmant chinchilla brun résidant lui aussi à Poudlard, et il se hâtait vers le rendez-vous. L'autre élève – un Gryffondor de cinquième année, à peu près aussi évaporé que Sam, nommé Mike – avait accepté de sortir Lucrèce du célibat forcé où la maintenait son maître ; il avait réservé par avance l'un des fruits des amours des deux chinchillas, et ne demandait rien d'autre.
Au petit déjeuner, Mike était venu informer son comparse qu'il avait malencontreusement écopé d'une retenue, et qu'il le retrouverait après ; il avait précisé qu'il vaudrait mieux ne pas trop traîner, car il était sous surveillance pour de multiples méfaits dans les couloirs, et les adultes du château semblaient bien décidés à le traquer. Cela ne posait pas de problème ; en quelques minutes, les ébats des chinchillas devraient être terminés, et Lucrèce regagnerait le dortoir de Serpentard. Il suffirait, quelques mois plus tard, de jouer les innocents, et Lenny ne saurait jamais ce qui s'était passé... Le plan était sans accroc.
Dans la poche du sweat de Samuel, Lucrèce avait englouti sa nourriture en un temps record, et elle semblait désormais décidée à dormir, comme toujours lorsqu'elle était au chaud. Profitant de ne plus avoir à transporter un monstre déchaîné en train de se débattre, le blondinet accéléra, et gravit les escaliers d'un pas souple. Le rendez-vous était fixé au premier étage, près de la salle de métamorphose ; à cette heure, il ne devrait pas y avoir grand monde dans les parages.
Samuel s'engagea dans le couloir du premier, en caressant du bout des doigts la bestiole pelotonnée dans la poche de son sweat. Mike avait eu raison de choisir ce secteur pour le rendez-vous : il n'y avait vraiment pas grand-monde. Personne dans le tout premier couloir, une seule personne dans le deuxième – mais accompagnée d'un chat. Un magnifique chat blanc, dont la seule présence suffit à réveiller Lucrèce. Samuel sentit le chinchilla se dresser, son poil se hérisser, à mesure qu'il s'approchait du chat ; le félin, de son côté, fixait avec attention le nouveau venu – tous les ingrédients d'un drame animalier étaient réunis. Il suffirait d'un rien pour que Lucrèce non seulement ne connaisse jamais l'amour, mais encore ne revienne jamais dans le dortoir de Serpentard... Lenny ne pardonnerait pas un tel malheur à son cadet. Samuel passa son autre main dans la poche de son sweat pour empêcher Lucrèce de s'échapper, mais lorsqu'il passa devant la femme au chat – une personne qu'il n'avait encore jamais vue – la sale bestiole se mit à se débattre frénétiquement dans sa poche... et, à l'instant où le gamin disait bonjour à la femme (à l'école, on doit toujours dire bonjour à un adulte, leçon n°1 de maman), cette saleté de Lucrèce eut l'excellente idée de planter ses dents pointues dans l'un de ses doigts.
-Bonj... AÏE !
Furieux contre l'animal, il pila net, sortit sa main de sa poche, et essuya sur son sweat le sang qui coulait abondamment de la morsure. De l'autre main, il serrait Lucrèce un peu plus fort que nécessaire, en se jurant de lui faire payer cette incartade. La bête continuait de se débattre, et si elle continuait comme ça, elle allait tomber tout droit dans la gueule du chat qui semblait très intéressé.